Nimenya Désiré, arrosant son champ de légumes à Kirundo Nord Ouest du Burundi 3. Tube d’eau facilitant l’irrigation

Près de deux ans après avoir limité la circulation des biens et des personnes pour contenir la propagation de la pandémie Covid-19, les prix des matériels d’irrigations modernes se sont envolés obligeant les petits agriculteurs de se tourner vers l’irrigation archaïque comme alternative à court terme pour produire.

Avec l’arrosoir à la main, Désiré Nimenya irriguait son champ lorsque nous l’avons rencontré dans son oignonière à Murore au début du mois d’Octobre en 2021 en commune Busoni située dans la province Kirundo au Nord du Burundi.  

A en croire Désiré : «  la croissance d’oignons nécessite de grandes quantités d’eaux. Toutefois, les matériels d’irrigation coûtent désormais énormément chers. Leurs prix se sont envolés depuis que la pandémie covid-19 a fait surface. »  

Pascal Ntakirutimana, un commerçant des matériels d’irrigation que nous avons rencontré au marché de Kirundo indique que les prix des matériels d’irrigation comme le pulvérisateur ont presque doublé.  

« Un pulvérisateur est passé de 70 000 Fbu au mois de Mars 2020, avant que l’Etat ferme les frontières pour contenir la propagation de la pandémie covid-19, à  110 000 Fbu au mois d’Octobre 2021. »souligne Pascal Ntakirutimana. Jamais, les prix des matériels d’irrigation n’avaient connu une telle hausse, ajoute-t-il. 

Cette hausse des prix touche également les prix des produits phytosanitaires et des semences de qualité : « Par exemple, un paquet de semence d’oignons blancs qui coûtait entre 26 000 et 28 000Fbu en Mars 2020 coûtait entre 45 000 et 50 000Fbu en Octobre 2021, soit une hausse de 79% en moins de deux ans. » Précise Pascal.  

Quant aux produits phytosanitaires qui protègent les plantes des maladies, comme Ridomil, il est passé de 17 000fbu à 25 000Fbu. Or, sans produits phytosanitaires, les rongeurs attaquent nos champs. Et nos champs se meurent  sous nos yeux, conclut-t-il.

Dans le Nord-ouest du Burundi, nous sommes en province Kayanza, les prix des matériels d’irrigation ont également été revus à la hausse. « Au marché de kayanza, les petits arrosoirs, le pulvérisateur et les semences d’oignons blancs sont passés respectivement de 6000,  50 000 et 25 000 à 10 000Fbu, 100 000Fbu et 45 000Fbu. » raconte Jean Claude Niyonkuru, commerçant. Cette hausse des prix touche aussi les semences de qualité de pommes de terre dont un kilogramme de semence de pomme de terre de qualité est passé de 1500 à 2500BIF, poursuit-il. 

Au marché de Kayanza, le coût du produit phytosanitaire dénommé « Rocketo » a quasiment doublé passant de de 3000 à 5000 BIF. Pour Albert, exploitant de Matongo, ils courent à leur perte. D’autres variétés de produits phytosanitaires ne sont plus disponibles sur le marché local. 

« Depuis la mesure de restreindre la circulation transfrontalières terrestre vers la fin du mois de Mars 2020 pour contenir la propagation de la pandémie covid-19, force est de constater que les prix des matériels d’irrigations et des produits phytosanitaires ont été revus à la hausse. Ils sont parfois introuvable », admet le Directeur Provincial de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Elevage en province Kayanza Adelin Niyonsaba. 

« Pour le moment, les producteurs qui dépendent entièrement des précipitations pour son approvisionnement en eau, leur production se limite à deux saisons A et B. Notons que la saison A (Agatasi) s’étend de septembre à février tandis que la saison B commence en Février et prend fin au mois de mai. La saison C fait partie du passé »

Pourquoi les tarifs d’équipements d’irrigation sont en hausse? 

Selon Jean Claude Niyonkuru, commerçant d’outils agricoles rencontrés au centre urbain de la province Kayanza, la hausse des prix des outils agricoles est due aux mesures de restrictions du Covid-19.

« La hausse des prix des outils agricoles est en grande partie liée  au ralentissement de la circulation des biens et des personnes transfrontalière des suites des mesures prises par le gouvernement, dont la fermeture des frontières pour contenir la pandémie covid-19. Il faut alors comprendre que les importations prennent du temps assez long qu’avant et arrivent à destination à un prix élevé. » 

A titre illustratif, le cargo prend plus de temps en raison de la présence continue de mesures de conformité Covid-19, telles que la fourniture de tests négatifs où les chauffeurs routiers, dont le test est positif, doivent retourner à leur pays d’origine. En l’occurrence, un autre chauffeur se doit d’être embauché, ce qui retarde la livraison et rend cher le transport.

« Les barrières non tarifaires liées au Covid-19 ainsi que les retards aux frontières des suites des exigences de la pandémie de coronavirus telles que les tests ont été à l’origine de la hausse des prix des biens. « , a déclaré Christian Nibasumba, représentant national de Trade Mark East Africa (TMEA).

Toutes ces mesures, a-t-il ajouté, ont naturellement eu un impact sur le volume des échanges entre le Burundi et ses partenaires commerciaux au sein de l’EAC et au-delà, y compris l’incapacité à maintenir les variations de prix.

D’après Adelin Niyonsaba, directeur provincial de l’environnement, de l’agriculture et de l’élevage à Kayanza pour faire face à la hausse des prix d’outils agricoles, les producteurs achètent une quantité insuffisante des semences par exemple des oignons et sont alors obligés d’entretenir une plantation exiguë d’oignons  alors qu’avant la pandémie covid-19, ils entretenaient de grande plantation. »  

 

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« Parmi les producteurs, il y a ceux qui se sont retrouvés dans l’impossibilité d’exploiter leurs champs comme avant la covid-19  depuis que cette crise économique a éclaté. »ajoute-t-il.   

Nimenya fait savoir qu’il y a des agriculteurs qui préfèrent la location de leurs lopins de terre à l’exploitation. Ce qui est plus frappant, c’est qu’ils louent leur lopin de terre à bon marché. A l’heure actuelle, ces producteurs dépendent entièrement des précipitations pour son approvisionnement en eau, leur production se limite à deux saisons A et B. Notons que la saison A (Agatasi) s’étend de septembre à février tandis que la saison B commence en Février et prend fin au mois de mai. Pour eux, la saison C fait partie du passé. 

D’ailleurs, Désiré constate que la culture des légumes en général et d’oignons en particulier est une affaire de grands producteurs, car elle est très exigeante à la fois  en termes financiers et techniques. 

Parlant toujours de l’impact de la pandémie covid-19 sur l’irrigation, nous citerons à titre d’exemple un projet  d’irrigation de la Coopérative du Développement Laitier de Kiryama (CDLK) de Bururi, au sud du pays, qui est tombé à l’eau : « Le projet, de construction et de fourniture des matériaux associés au système de la station de pompage d’une superficie de 60 hectares promis par les bailleurs, allait commencer juste au début du mois d’Avril 2020. Toutefois, depuis que la pandémie covid-19 a éclaté, nous avons attendu, mais en vain. »  regrette Jean Claude Nzinahora. 

Pour remédier à cette situation, le ministre de l’environnement, de l’agriculture et de l’élevage Dr Déo Guide Rurema fait savoir que l’Etat a distribué 80 arrosoirs aux coopératives en guise d’encouragement. En revanche, vu le nombre de demandeurs ( 5756 coopératives enregistrés à l’ANACOOP), ces arrosoirs restent insignifiantes.

Niyonsaba recommande aux agriculteurs de ne pas croiser les bras même si les conditions ne sont pas réunies. Un avertissement qu’on dirait bien avoir été entendu. 

Des nouvelles pistes de solution….

A Bururi, au sud du pays, à Kayanza et à Kirundo, au nord du pays, les petits producteurs ont adopté des nouvelles méthodes d’irrigations locales en vue de contourner ces défis.  

Parmi les coopératives qui ont adopté des nouvelles méthodes d’irrigations locales figure la coopérative du Développement Laitier de Kiryama, CDLK en sigle. 

Cette coopérative a mis en place un système d’irrigation local qui  capte de l’eau de source au sommet des collines et la font circuler par des canaux le long des pentes notamment en creusant de longs canaux appelés sous-irrigation (atteignant 50 kilomètres) ou l’irrigation manuelle au moyen d’arrosoirs et de tubes de corde (atteignant 500 mètres). En outre, les agriculteurs peuvent accéder à l’eau en se connectant à des buses à différents points du réseau. 

Jean Claude Nzinahora, président du CDLK et technicien chargé des projets d’irrigation prévient : «  Avec ce long canal, notre coopérative peut couvrir 20 hectares (un tiers de la surface totale). Nous projetons également irriguer toute la colline de 60 ha en deux ans. »

La canalisation de l’eau n’a pas marché pour tous les petits producteurs. Elle a même emporté mon champ de pomme de terre et des légumineuses, se lamente Kwizera Tatien, producteur de Kayanza.  J’avais tracé un canal afin d’irriguer mon champ, car les matériels d’irrigation commandés en Chine avaient pris du temps pour me parvenir. Toutefois, ce canal a été la source de tous les maux puisque mon champ a été emporté par les crues de rivières.

D’autres producteurs, pour acheter les matériels d’irrigation comme le pulvérisateur, deux ou trois agriculteurs s’associent et cotisent à la fin du mois une petite somme pour acheter tous les kits nécessaires, indique Désiré Nimenya. 

Il a également révélé que  suite à cette pandémie covid-19, il y a des petits exploitants qui ont recours aux arrosoirs artisanaux. «  Ces derniers sont des marmites ou des bidons troués à plusieurs reprises dans le fond. », a-t-il expliqué.  

En sus des méthodes d’irrigations locales, d’autres producteurs se sont appuyés sur les techniciens locaux pour irriguer leurs champs. Nous citerons en guise d’exemple Salvator Ndayizeye qui utilise un moteur de motopompe pour irriguer 5 hectares sur 20 hectares dont il dispose faute des kits modernes adaptés à sa région. 

Jusqu’à présent, l’Etat a fourni beaucoup d’efforts pour améliorer et augmenter la consommation d’eau du robinet. Les statistiques montrent que le nombre de personnes consommant l’eau du robinet est passé de 15,6% en 2001 à 38,2% tandis que le taux de personnes consommant de l’eau de rivière a diminué passant de 14,8% à 3,5% sur la même période. (Graphique)

Néanmoins, l’irrigation reste encore à la traîne. Alors que le potentiel d’irrigation du Burundi est vaste avec possibilité d’irrigation de 215 000 hectares : la plaine de l’Imbo (ouest) 75 000 hectare, la dépression du Moso (Est) 20 000 hectares, et des bas-fonds au pied des collines : 120 000 hectares de marais), seule 3,2% de cette surface est irriguée. Cela indique que le pays ne parvient pas à tirer pleinement profit de ses ressources, ce qui est aussi à l’origine de l’instabilité des prix.

Et si la production en pâtissait ? 

Même si ces techniques d’irrigations locales ont porté leurs fruits, elles n’ont pas atteint le niveau escompté, celui de l’ère de l’usage des matériels d’irrigations modernes. D’ailleurs,  la production de maïs a connu une chute : « alors qu’avant la pandémie covid-19, nous récoltions 4 tonnes de maïs par hectare, les rendements ont chuté depuis l’usage de ces nouvelles méthodes locales, car nous ne pouvons pas irriguer tout le territoire comme il se doit, fait savoir Salvator Ndayizeye. En 2021, pendant la saison C, nous avons récolté seulement 2, 5 tonnes de maïs. « Le rendement de maïs n’était pas satisfaisant alors que nous sommes dans l’obligation de fournir beaucoup d’efforts » se lamente-t-il .

La production des oignons de Désiré est  passée de 1000 kilogrammes par hectare à 300 kilogrammes par hectare. Tandis que Jean Claude Nzinahora s’attendait à récolter 20 Tonnes de maïs,  au final son rendement est ramené à moitié. Selon Salvator, ces matériels locaux d’irrigation connaissent des limites.  

L’évolution des prix de haricot sec de couleur rouge, de pomme de terre de couleur mauve et de patate douce locale des années 2019, 2020 et 2021 en province Kirundo tirés des bulletins mensuels de l’ISTEEBU démontrent que la pandémie Covid-19 a eu un impact négatif sur la prix des denrées alimentaires.  

Il faut noter que le secteur agricole est la pierre angulaire de l’économie burundaise. Selon l’Institut des Statistiques et d’Etudes Economiques du Burundi, elle est pratiquée par plus de 90% de la population sur près d’un million d’exploitations familiales d’environ 0,50 ha en moyenne par ménage. Elle contribue à 44% au PIB et à 95% des recettes d’exportation du Burundi. 

Jusqu’à présent, l’agriculture burundaise dépend principalement des précipitations sauf que depuis 2017 l’Etat essaie de changer la donne comme l’indique le ministre de l’environnement, de l’agriculture et de l’élevage Dr Deo Guide Rurema. En raison du changement climatique, les précipitations sont en baisse ces dernières années. 

Le dernier rapport des statistiques de l’environnement publié en 2016 sur le site de l’Institut de Statistiques et d’Etudes Economiques du Burundi en témoigne. Selon ce rapport, les précipitations en province Kirundo ont sensiblement diminué en l’espace de 9 ans. Elles sont passées de 1143,6mm en 2007 à 777,9 mm en 2016. 

Les précipitations sont tantôt abondantes tantôt insuffisantes. Ce qu’il faut savoir, c’est que les crues dévastent les champs tandis que les champs, ayant subi une forte sècheresse, s’assèchent, trouve Pr Jean Marie SABUSHIMIKE, professeur d’université du Burundi au département de Géographie. Le changement climatique est dû en grande partie à la déforestation, poursuit-il. 

Or, Une importante étude sur l’utilisation de l’eau par l’agriculture, intitulée Compréhensive Assessment of Water Management in Agriculture (Évaluation globale de la gestion de l’eau en agriculture) et coordonnée par l’Institut international de gestion des ressources en eau, a noté une corrélation étroite entre la faim, la pauvreté et l’eau. 

Quand le changement climatique devient source de famine

Ce changement climatique avait été à l’origine au début des années 2000 dans la province Kirundo de la famine. Environ 350 000 personnes se sont confrontées à de graves pénuries alimentaires par suite d’une succession de mauvaises récoltes, rapporte la FAO. 

Karenzo Antoine, 51 ans, faisait partie des réfugiés environnementaux des années 2000.  Il en garde jusqu’à présent un mauvais souvenir: «  je me souviens m’être refugié en Tanzanie avec ma femme et mes deux enfants pour ne pas mourir de faim».  

A titre informatif, la province Kirundo était le grenier du Burundi. En mémoire de sa surproduction des haricots, les burundais avaient même surnommé certains types de haricots « Kirundo ».

Un projet d’ InfoNile

Rapporteur principal : Arthur Bizimana et  Espoir Iradukunda

Production du podcast par Moise Misago et de la vidéo par Larissa Ndayiragije 

Visualisation des données : Espoir Iradukunda et Arthur Bizimana

 Coordination nationale : Espoir Iradukunda

Édition, coordination du projet et communication :  Annika McGinnis et Fredrick Mugira

Ce reportage a été organisé par InfoNile en partenariat avec  Code for Africa et sur financement de l’IHE-Delft Water and Development Partnership Program.

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